Platte, lavandières et Pont neuf
Le Progrès illustré n°170 – 18 mars 1894
Après 1830, à Francheville comme dans les autres communes périphériques de l’Ouest lyonnais, le parcellaire, de petite surface, faisait surtout vivre un monde d’exploitants agricoles encore important : propriétaires cultivateurs, fermiers: 42,3 % en 1836, 45,5 % en 1866 mais seulement 24,2 % en 1896 (mémoire de D. Lalle : Francheville (1796-1976), Mémoire de Maîtrise en Histoire, Université Lyon 2, 1978).
Pour augmenter les revenus, d’autres activités complémentaires se développent, telles le lavage du linge, qui devint la principale activité économique de Francheville jusqu’au début du 20ème siècle. L’opportunité de ces blanchisseries artisanales provenait du fait que l’eau de l’Yzeron et du ruisseau de Charbonnières était utilisable plusieurs mois de l’année. Cette activité au bord des ruisseaux commença à décliner dans les années 1900, au profit des nombreux puits de la commune, pour la plupart alimentés par la nappe phréatique et quelques « boutasses » (bassins creusés dans le sol, souvent sans margelle, de 50 à 80 cm d’eau, et de faible surface 4 à 6 m2 ).
Maquette d’une platte (famille Double)
Dans son mémoire, Dominique Lalle note que l’activité de blanchisseurs et de repasseurs faisait vivre :
En 1836, 21 femmes et 18 hommes soit 39 personnes (plus 32 repasseuses) sur 1237 habitants.
En 1866, 44 femmes et 27 hommes soit 71 personnes sur 1707 habitants.
En 1896, 171 femmes, 88 hommes soit 259 personnes (plus 100 repasseuses) sur 1851 habitants.
Souvenir (1990) d’une repasseuse née à la fin du 19ème siècle
« A 7h en été et 8h en hiver les lavandières arrivaient avec, sous le bras leur « banc », planche cintrée à une extrémité pour épouser le ventre et à l’autre bout 2 petits pieds que l’on calait sur les bords des « bagnons » ( grands baquets de bois cerclés de fer, œuvre de François Lami, tonnelier au Vieux Pont, au bord de l’Yzeron ) ou des bassins. Sous l’autre bras elles coinçaient un paillasson fait de paille rassemblées dans un sac de toile de jute, et dans la main un panier avec une brosse de chiendent… et le « batillon », battoir à linge rectangulaire.
Quelque temps avant l’arrivée des lavandières, de l’eau avait été mise à chauffer dans une chaudière maçonnée, les bagnons remplis d’eau tiède et les lavandières commençaient à décrasser le linge à la brosse et au savon blanc. Chaque pièce de linge était ensuite trempée rapidement dans un bain de « bleu ». Le bleu, c’était des boules d’indigo et que l’on laissait infuser dans l’eau d’un bagnon . Les blanchisseurs mettait du bleu parce que le blanc devenait encore … plus blanc !
Ensuite le linge était porté dans des corbeilles dans la chaudière et bouillait quelques heures avec des cristaux de soude. Puis le linge était rincé dans 3 bassins en ciment enfoncés au ras du sol. Deux lavandières, toujours les mêmes s’en chargeaient, elles étaient à genoux sur leur paillasson. »
Le blanchissage du linge : quelques mots de l’expert
Nos grands-parents ne changeaient pas leur linge souvent. Il était donc très sale selon nos « standards » actuels et l’opération de lavage était longue et relativement complexe. Il n’est pas étonnant qu’elle ait été confiée à des « sous-traitants » par les citadins qui manquaient de temps et avaient certains moyens financiers.
La saleté était fortement incrustée, d’où l’utilisation de moyens physiques « brutaux » pour la décoller : battoir, frottement avec ou sans brosse en chiendent sur la planche à laver. Le linge de maison était fait de chanvre, et surtout de lin puis de coton et il pouvait supporter un tel traitement. Il n’en était pas de même pour la laine : ses fibres comportent des écailles qui s’accrochent entre elles et le tissu se feutre.
La graisse est un des composants majeurs de la saleté. D’où l’utilisation de cristaux de soude la rendant soluble par saponification. Ces cristaux remplacèrent la cendre de bois beaucoup moins efficace et seulement en partie soluble dans l’eau. Les molécules de savon sont composées de deux parties, l’une soluble dans les graisses, l’autre soluble dans l’eau. Son utilisation était donc un très gros progrès pour améliorer le nettoyage. Le savon est obtenu par saponification en faisant agir de la soude ou de la potasse caustique sur de la graisse (du suif à l’époque). Les cristaux de soude et le savon, qui pouvait contenir des résidus de soude ou de potasse, abimaient les mains des pauvres lavandières qui les utilisaient à longueur de journée. Voir à ce sujet le célèbre texte de Théophile Gauthier qui fait le portrait d’une « vieille servante ». Certains colorants des tissus devaient aussi résister très mal à ce traitement !… L’utilisation d’eau chaude, voir bouillante (cf. la lessiveuse utilisée dans les foyers) améliorait l’opération, surtout pour certaines taches.
Le linge « blanc » en coton ou lin avait naturellement une couleur légèrement jaunâtre. Pour le rendre « plus blanc » on le trempait dans une solution de colorant bleu. On appelait cette opération « passer au bleu ». Le bleu et le jaune étant complémentaires, le tissu devenait blanc, mais d’un blanc relativement terne. Le lyonnais Jean-Baptiste Guimet inventa en 1828 le célèbre « bleu Guimet » fabriqué à Fleurieu sur Saône et universellement connu. On rend maintenant le linge plus éclatant en utilisant des agents fluorescents appelés « azurants optiques ».
Pas de lavage sans repassage et il ne faudrait pas oublier un dernier ingrédient : l’amidon.
Ci-dessous une lettre adressée en 1972 à Monsieur Tortel, alors capitaine des pompiers, qui parle des surnoms donnés à des habitants, principalement des blanchisseurs :
Chers Amis
Nous espérons que vous êtes rentrés à bon port et que Georges n’a
pas été obligé de souffler dans le ballon et sans encombre vous avez regagné vos pénates. A tête reposée, je me suis souvenu des sobriquets de quelques bons vieux Franchevillois à côté du clos des rases : il y avait un Dumas qu’a Lorgnon qui lorgne le chemin des écoles Dumas La Miche, oncle de Notain le père Rostaing, Rocambolle. Berthelot Marquis dela Croquère. Le Père de Firmin Dupuy La Grolle avaleurs d’escargots crus et yeux de cochon également. Dorier qui habitait avec son père tout en haut sous le toit de Mde Martinet à présent dit TROCHU nom du Général, chanteur de la Tyrolienne lorsqu’il était en bringue. Lucien Berthon dit Rampola.
La nana de Dumas lorsque ses parents qui étaient blanchisseurs au petit Champagne. Le jour qu’ils rendaient le linge à Lyon, la nana emportait son diner dans un panier, et en cours de route, il se trouvait que la personne qui la rencontrait lui demandait qu’as tu dans ton panier : « J’ai une bonne couisse de polet dans mon pani ». La Nana Dumas l’ex femme de Pierre Gubiand.
Il y a bien encore d’autres, car dans les lavandières et repasseuses, les lavandières le matin à 7 heures les repasseuses à 8 heures tout un petit monde qui ne faisait guère de bruit, l’écho du batillon, le glissement du fer à repasser.
Le père Mondet, cantonnier de la grande voirie avec son éternelle brouette. Où allez-vous père Mondet Je vais mettre quelques pièces au petit Cabaret. Je vais retroussé des tas de cailloux à la Chauderaie , et voilà la petite vie du quartier latin en ce temps là car il y avait 12 blanchisseurs dans ce quartier des Rases. Le chemin des écoles, de Chantegrillet, impasse des Platanes jusque petite Champagne J’en compte 1 sur la place MENOT